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  • Festival de Cannes 2022 – Sélection officielle hors compétition – Critique de ELVIS de Baz Luhrmann

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    Chaque année, au fur et à mesure que les jours avancent et que la clôture du Festival de Cannes se rapproche, la barrière entre la fiction et la réalité s’amenuise, transformant chaque journée et chaque seconde en une troublante, délicieuse, enivrante et perturbante confusion… Pour la 66ème édition du festival, cela avait débuté dès l’ouverture avec la projection d’un autre film de Baz Luhrmann, Gatsby le magnifique, adaptation de l’intemporel roman de Francis Scott Fitzgerald,  miroir de Cannes, de la mélancolie et de la solitude derrière le faste, la fête, les éblouissements. Un tourbillon mélancolique et festif. Et pour la deuxième fois seulement dans l’histoire du Festival un film était projeté en 3F, après « Up » (« Là-Haut ») de Pete Docter, en 2009. Un film, comme celui de Clayton, empreint de la fugace beauté de l’éphémère et de la nostalgie désenchantée que représente le fascinant et romanesque Gatsby auxquelles Baz Luhrmann ajoutait une mélancolique flamboyance, sans dénaturer l’essence du roman, en choisissant justement de modérer ses envolées musicales. Un hommage magnifique à ce roman bouleversant sur l’amour absolu, la solitude et les illusions perdues derrière le faste et la multitude. Une sublime mise en abyme pour une ouverture et un film d’ouverture mêlant flamboyance, grand spectacle, mélancolie… à l’image de Cannes.

    Nous pourrions en dire de même d’Elvis (Austin Butler), qui raconte la vie et l'œuvre musicale du King à travers le prisme de ses rapports complexes avec son mystérieux manager, le colonel Tom Parker (Tom Hanks). Le film explore leurs relations sur une vingtaine d'années, de l'ascension du chanteur à son statut de star inégalé, sur fond de bouleversements culturels et de la découverte par l'Amérique de la fin de l'innocence.

    Elvis Presley et Baz Luhrmann. L’extravagance et la flamboyance (à nouveau) de l’un sont en parfaite adéquation avec celles de l’autre.  Tout comme c’était le cas avec Gatsby qui, comme Elvis, dissimulait une profonde mélancolie derrière l’exubérance de son mode de vie. Le grand spectacle est à nouveau au rendez-vous dans ce biopic passionnant de la première à la dernière seconde.

    Austin Butler incarne à la perfection un Elvis charismatique et blessé de ses débuts dans le Tennessee à sa mort. Il est sans nul doute une des révélations de ce festival.

    Ce biopic n’est pas seulement le portrait d’un homme mais aussi celui d’une époque, celle de l’Amérique puritaine, ségrégationniste, inique et à travers son destin ce sont trente années de l’histoire des mœurs américaines qui sont aussi retracées.

    Le montage est particulièrement rythmé, nerveux et brillant. Les costumes et les décors sont également remarquables dans ce qui n’est pas une reconstitution minutieuse mais un véritable point de vue sur l’artiste qui demeure l’artiste à avoir vendu le plus de disques dans le monde. Baz Luhrmann mêle en effet des images d’archives, des scènes de concerts reconstituées, utilise beaucoup le split screen…et les références à la bande dessinée qu’aimait tant Elvis. Le destin d’Elvis est vu à travers les yeux du Colonel Parker qui le manipula toute sa vie…et manipule sans doute un peu notre regard, le faisant tomber dans un véritable piège (comme un écho à l’une de ses chansons) qui « l’enferma » pendant des années à Las Vegas.

    Ce premier biopic réalisé par Baz Luhrmann est un voyage étourdissant, captivant, spectaculaire, frénétique, débordant d’énergie, enfièvre de musique comme l’était celui dont il relate la tragique et passionnante destinée mais aussi teinté de mélancolie. Je vous en parlerai plus longuement ultérieurement. En attendant, je vous recommande d’ores et déjà vivement ce film dont vous ressortiez avec une image plus précise et nuancée d’Elvis et en fredonnant ses musiques entêtantes. Il sera en salles le 22 juin.

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  • Festival de Cannes 2022 - Compétition officielle - Critique de TORI ET LOKITA de LUC DARDENNE et JEAN-PIERRE DARDENNE

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    « Notre plus cher désir est qu’à la fin du film le spectateur et la spectatrice qui auront ressenti une profonde empathie pour ces deux jeunes exilés et leur indéfectible amitié, éprouvent aussi un sentiment de révolte contre l’injustice qui règne dans nos sociétés » ont ainsi déclaré Luc et Jean-Pierre Dardenne à propos de ce film. L’empathie ressentie par le spectateur pour leurs personnages est en effet un des points communs de leurs films, dont nombreux sont ceux qui furent projetés et récompensés à Cannes : Grand prix ex-aequo pour Le gamin au vélo en 2011, Prix du scénario pour Le silence de Lorna en 2008, palme d’or pour L’enfant en 2005, palme d’or remise à l’unanimité pour Rosetta en 1999.

    Ce nouveau film nous emmène en Belgique à la rencontre de Tori (Pablo Schils) et Lokita (Mbundu Joely), un jeune garçon et une adolescente venus seuls d’Afrique qui opposent leur invincible amitié aux difficiles conditions de leur exil.

    Les deux jeunes adolescents interprètent ici leurs premiers rôles au cinéma. Les frères Dardenne avaient déjà fait appel à des acteurs non professionnels pour Le Gamin au vélo et pour Le jeune Ahmed. Jérémie Rénier était débutant quand il joua dans La Promesse et Emilie Dequenne également dans Rosetta.

    Et à combien d’autres acteurs ont-ils permis de donner le meilleur d’eux-mêmes comme Marion Cotillard qui, dans Deux jours, une nuit, crève littéralement l'écran dans ce sublime portrait de femme fragile et téméraire ? Physiquement transformée mais aussi admirablement dirigée, elle est pour beaucoup dans l'empreinte que nous laisse ce film grave et lumineux, ancré dans notre époque et intemporel.

    Dans chacun de leurs films, les Dardenne obtiennent le meilleur de leurs acteurs et celui-ci ne déroge pas à la règle. Encore une fois, ils s’imposent comme des directeurs d’acteurs exceptionnels et, forts de leur expérience du documentaire, recréent une réalité si forte et crédible avec des êtres blessés par la vie dont les souffrances se heurtent, se rencontrent, s’aimantent.

    Leur cinéma est réaliste, humaniste, social sans être revendicatif mais au contraire nous plongeant dans l’intimité des personnages.  A propos du Silence de Lorna (dans lequel il était déjà question d'exil), je vous disais qu’il est plus parlant que n’importe quel discours politique. Il en va de même pour ce nouveau long-métrage.  Il dépeint magnifiquement une douloureuse histoire fraternelle entre des êtres que le destin va bousculer.

    Au cœur d’une tragique actualité, ce film âpre des Dardenne ne peut laisser insensible grâce à l’acuité de leur regard, leur « empathie », mais aussi l’interprétation bouleversante de leurs deux jeunes comédiens confrontés aux impitoyables réseaux des passeurs, mettant des visages (bouleversants) sur une réalité que l’on réduit bien trop souvent à des chiffres. Ce film se suit comme un thriller mais c’est avant tout un plaidoyer vibrant contre l’injustice et pour ces enfants livrés à eux-mêmes et confrontés à d’effroyables obstacles. A ceux-ci s’oppose la force saisissante de l’amitié des deux jeunes adolescents.  Un lien dont on ne connaîtra jamais vraiment l’origine. Ce film oscille constamment entre la violence et la tendresse qui les lie.

    Après deux Palmes d’or (pour Rosetta et pour L’Enfant), les Dardenne pourraient décrocher une troisième la récompense suprême avec ce film, une nouvelle fois, au cœur de la réalité sociale. Un film poignant et sobre qui évite toujours l'écueil du pathos, d'autant plus émouvant qu'il est filmé à hauteur d'enfants plongés trop tôt dans ce que le monde a de plus rude. Les Dardenne restent les meilleurs cinéastes de l’instant, à la fois de l’intime et de l’universel dans lequel tout peut basculer en une précieuse et douloureuse seconde : un thriller intime.

  • Festival de Cannes 2022 – Compétition officielle – Critique de DECISION TO LEAVE de que Park Chan-wook

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    Disons-le d’emblée : il semble difficilement pensable que le jury de cette 75ème édition n’attribue pas de prix à ce film remarquable et marquant, qu’il s’agisse de celui du scénario (coécrit par le cinéaste Jung Seo-kyoung.) ou de la mise en scène.

    Hae-Joon, détective chevronné, enquête sur la mort suspecte d’un homme survenue au sommet d’une montagne. Bientôt, il commence à soupçonner Sore, la femme du défunt, tout en étant déstabilisé par son attirance pour elle.

    Ce onzième long-métrage de Park Chan-wook (qui n’avait pas réalisé de long-métrage depuis 6 ans) est un peu la quintessence de son cinéma, avec certes moins de violence que dans ses précédents films mais plus que jamais ce sens aiguisé de la mise en scène.

     Evidemment, on pense à Vertigo d’Hitchcock (1958 – Sueurs froides) à la lecture de ce pitch faisant écho à celui du film en question du maître du suspense dans lequel un enquêteur tombe amoureux de la femme qu’il doit surveiller. Les personnages, dans une sorte de mise en abyme du cinéma, jouent constamment un rôle, si bien que la frontière entre vérité et mensonge est très floue. C’est aussi le cas ici, dans ce film noir dans lequel le polar est avant tout un prétexte à une poignante histoire d’amour qui commence en haut d’une montagne et s’achève sous la mer. Entre les deux, se déroule pour le spectateur un voyage sinueux, à la fois captivant et opaque.

    La mise en scène d’une élégance rare interroge le réel et la vérité. Elle joue constamment avec les focales, le flou, les amorces, le premier et le second plan...et se joue de nous aussi, y compris avec le titre, également à double sens (qui s'avère bouleversant au dénouement). Le suspense plus que celui du polar est celui du désir, latent, constant. Ce n’est pas un film facile mais si on accepte de se laisser emporter dans ce jeu de dupes, on ressort bouleversé de ce labyrinthe émotionnel habile et malin qui évoque bien davantage la langueur d’In the Mood for Love de Wong Kar-wai que des films précédents de Park Chan-wook comme Old boy.

    Ce mélange de thriller et de mélodrame est évidemment très hitchcockien. Le cinéaste dissèque la complexité des sentiments, l’homme pudique face à la femme manipulatrice dont il va tomber amoureux. Le titre est comme le film : double. Il résulte ainsi d’une chanson populaire coréenne, La brume, une histoire d’amour mélodramatique, mais aussi une série de romans policiers suédois, série de Martin Beck traduite récemment en coréen.

    La mise en scène particulièrement brillante nous montre notamment comme Hae-Joon observe Sore de l’extérieur et par esprit se projette chez elle en des projections fantasmagoriques dont il nous appartient de déterminer s’il s’agit de la vérité. Tout est signifiant jusque dans le décor de l’appartement avec ses motifs de papiers peints qui reprennent des idées de vagues et montagnes. Les transitions sont aussi particulièrement brillantes comme une goutte dans une tasse de thé à laquelle répond une goutte dans une sonde à l’hôpital. La mise en scène distend et distord le temps et l’espace. Même quand ils sont ensemble, elle les sépare car ils ne s’aiment pas en même temps. 

    Ce film poignant nous laisse avec une impression entêtante et un mot, comme une litanie : brisé. A voir absolument ! 

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  • Festival de Cannes 2022 – Cannes Première – Critique de DON JUAN de Serge Bozon

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    Comme ce film a été injustement méprisé par une partie de la critique suite à sa projection hier dans le cadre de Cannes Première, avant de vous en parler plus longuement, je voulais vous convaincre dès à présent de découvrir ce sixième long métrage de Serge Bozon, qui sort en salles ce 23 mai.

    En 2022, Don Juan renommé Laurent (Tahar Rahim) n’est plus l’homme qui séduit toutes les femmes, mais un homme obsédé par une seule femme, Julie (Virginie Efira) : celle qui l’a abandonné…

    Un homme se prépare face à un miroir. Ses gestes orchestrent la musique. Don Juan aime mener la danse, semble-t-on nous dire. Puis Don Juan entre en scène, en l’occurrence dans la salle de la mairie où il doit se marier. Sa future femme n’est pas encore arrivée, tarde à venir. Et il l’attend, l’attend, l’attend…Pour soulager cette interminable attente, il invite les invités à écouter un air de musique qu’elle aime pour « la connaître un peu par la musique. » Il continuera à attendre. En vain. Sa future femme ne viendra pas. Il regarde par la fenêtre. Son regarde s’attarde sur une femme qui passe sous celle-ci. Pendant ce temps, Julie entre dans un café et au « Qu’est-ce que je vous sers ? » par lequel on l’interroge, elle répond « Servez-moi de la musique. »

    Tout est là, dans ces premières minutes, le ton décalé, poétique, romantique, mélancolique. Serge Bozon dit avoir voulu abandonner le registre des films de genre pour signer un film d’amour et il y est parvenu. Laurent/Don Juan ne verra alors plus que Julie dans toutes les femmes qu’il rencontrera (incroyable Virginie Efira qui incarne avec brio toutes ces femmes différentes, ce fut probablement aussi jubilatoire à l'actrice de les incarner toutes que cela l'est pour le spectateur à regarder toutes ces incarnations). Ce Don Juan est obsédé par une seule femme. Il croit la reconnaître dans toutes les femmes qu’il aborde, et qui d’ailleurs le rejettent (ce rejet atteint son paroxysme lors d’une fête de mariage à l’occasion d’une danse nocturne presque macabre, fascinante). Plus défait que victorieux, plus sincère que cynique, ce Don Juan contemporain arrive après l’ère #Metoo. C’est donc une version féministe que nous propose ici Serge Bozon, avec ce scénario coécrit avec Axelle Roppert. C’est par la chanson que Don Juan exprime sa douleur par la voix mélodieuse de Tahar Rahim.

    Un troisième protagoniste va jouer un rôle essentiel, sous les traits d’Alain Chamfort dans le rôle du Commandeur, altier et inquiétant, éprouvé par un chagrin incommensurable, la perte de sa fille.

    Avec cette revisite du mythe de Don Juan, sous forme de comédie musicale féministe, Serge Bozon nous livre un film particulièrement élégant, une relecture de Molière moderne et sensible qui inverse la situation : c’est elle qui l’a abandonné, lui qui ne peut pas l’oublier. L’autre bonne idée est que Tahar Rahim interprète ici un comédien qui joue le rôle de Don Juan permettant d’initier un jeu de miroirs entre le rôle que son personnage joue sur scène et celui qu'il incarne dans la vie. La mise en abyme apporte à la fois recul et profondeur à ce film qui mêle brillamment les genres : un film harmonieusement mélancolique qui nous emporte dans sa danse, envoûtante et douloureuse.

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  • Quinzaine des Réalisateurs 2022 - Critique de REVOIR PARIS de Alice Winocour

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    C’est dans le cadre de la Quinzaine des Réalisateurs qu’a été projeté ce cinquième long-métrage d’Alice Winocour (également scénariste, de talent, notamment de Ordinary people et Mignonnes). En 2016, elle avait également fait partie du jury de la Semaine de la Critique.

    A Paris, Mia (Virginie Efira) est prise dans un attentat dans une brasserie. Trois mois plus tard, alors qu’elle n’a toujours pas réussi à reprendre le cours de sa vie et qu’elle ne se rappelle l’évènement que par bribes, Mia décide d’enquêter dans sa mémoire pour retrouver le chemin d’un bonheur possible.

    Cela commence par une fenêtre ouverte sur le monde (comme aurait dit Bazin) ou plutôt en l’occurrence une fenêtre ouverte sur les toits de Paris. Une femme arrose ses plantes, casse un verre. Elle répond à peine au « ça va » de son compagnon, semble mélancolique. Elle sursaute quand un jeune homme se jette sur une vitre du café dans lequel elle se trouve, comme si cela préfigurait le drame à venir. Il surviendra quelques minutes plus tard, terrassant, filmé à hauteur de victimes, sans jamais montrer les visages des assaillants. Tout juste nous dira-t-on qu’un des tueurs avait « une gueule d’ange ». Les bruits de mitraillettes sont terribles et assourdissants.

    Nous retrouvons ensuite Mia. « La vie a repris ». Un gâteau d’anniversaire lui en rappelle un autre, celui qu’on avait apporté à un homme à la table en face de la sienne, juste avant que ne survienne l’horreur indicible. La mémoire traumatique est là, insatiable, épuisante, surgissant au moment les plus inattendus ou incongrus. Le temps est distordu. Pour les autres, Mia est devenue une « sorte de distraction », ou bien ils évacuent le sujet d’un lapidaire « Tu as l’air en pleine forme, cela fait plaisir. » Elle, tout ce qui lui reste de cette 1H48 cachée, ce dont des images et des sons épars, et le souvenir d’un tatouage de l’homme qui lui a tenu la main à la recherche duquel elle va partir.

    Alors forcément, impossible de ne pas être bouleversée par ce Revoir Paris qui résonne en nous, que nous ayons vécu ce traumatisme ou un autre. Nous pensons à toutes ces âmes blessées pour qui « revoir Paris » doit être encore si difficile et qui y déambulent, anonymes, comme si de rien n’était, mais blessés dans leur chair et dans leur âme. La grande force de ce film est sa pudeur. L’émotion n’en est pas moins palpable. Quand on balaie les fleurs déposées en mémoire des victimes Place de la République, comme s’il s’agissait de vulgaires détritus, ou quand une jeune fille qui a perdu ses parents dans l’attentat cherche à retrouver dans le tableau éponyme le détail des Nymphéas figurant sur la carte qu’ils lui avaient envoyée, avant de mourir dans l’attentat.

    Mais ce film, ce n’est pas seulement celle d’êtres brisés, c’est aussi celle d’êtres qui ensemble cheminent vers la reconstruction, qui tissent des liens et un chemin vers la lumière, qui après cela se posent les questions sur le bonheur, ou qui encore sans se connaître se sont tenus la main, au sens propre comme au sens figuré.

    Si Mia « revoit » Paris, c’est aussi parce qu’elle la voit autrement, mais aussi qu’elle voit sa vie autrement. Elle souffre du trouble de « la mémoire récurrente involontaire » et va essayer de reconstituer les fils de cette effroyable soirée. Revoir Paris, c’est avant tout une histoire de résilience. Une fois de plus, Virginie Efira est troublante de justesse, de nuance, d’émotions, de force et fragilités mêlées. Force et fragilité mêlées, c’est aussi ce qui définit le personnage de Benoît Magimel.

    Un film d’une rare sensibilité, celle qu’il fallait pour traiter de ce sujet si récent et présent dans les mémoires. Mais aussi un film sur la mémoire traumatique qui donne des visages à cette épreuve collective avec délicatesse et dignité. Un poignant élan de vie, de réconciliation (avec soi, le passé) et d’espoir.

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  • Festival de Cannes 2022 - Compétition officielle - Critique de TRIANGLE OF SADNESS de Ruben Östlund

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    Après la palme d'or reçue pour The Square en 2017, Ruben Östlund pourrait bien intégrer le cercle très fermé des cinéastes ayant reçu deux fois la prestigieuse récompense ( Ken Loach, Michael Haneke, les frères Dardenne, Francis Ford Coppola, Shōhei Imamura, Bille August, Emir Kusturica) avec ce film choc qui peut difficilement laisser indifférent.

     

    Là où un Chaplin aurait recouru au rire tendre et burlesque pour souligner les travers de son époque, pour croquer la sienne, Ruben Östlund  a choisi le sarcasme impitoyable, l’ironie mordante, la férocité et l’excès du trait, le cynisme indécent en écho à celui qu’il dénonce.

    Après la Fashion Week, Carl (Harris Dickinson) et Yaya (Charlbi Dean Kriek), couple de mannequins et influenceurs, sont invités sur un yacht pour une croisière de luxe. Tandis que l’équipage est aux petits soins avec les vacanciers, le capitaine (Woody Harrelson) refuse de sortir de sa cabine alors que le fameux dîner de gala approche. Les événements prennent une tournure inattendue et les rapports de force s'inversent lorsqu'une tempête se lève et met en danger le confort des passagers.

    Carl est mannequin et c’est par un casting que débute le film ou plutôt le film dans le film puisqu’il s’agit d’un documentaire sur les coulisses. Il y est expliqué que s’ils posent pour un produit de luxe, les mannequins doivent impérativement arborer un air sinistre et « mépriser le client ». Nous assistons ensuite à un défilé de mode et pendant que les mannequins défilent les mots « optimisme » et « égalité » s'affichent sur l'écran vidéo en arrière-plan comme un slogan ironique, tandis que, au premier rang, des spectateurs sont déplacés pour que les remplacent des personnalités jugées plus importantes ou influentes (sans doute au nom de l’optimisme et de l’égalité). Comme un avertissement du bouleversement de la hiérarchie sociale qui va suivre mais aussi de la primauté de l’image sur le reste.

    Yaya, elle, est une influenceuse. C’est à ce titre qu’elle est invitée en croisière sur un yacht. Comme Carl, elle est parfaitement consciente du caractère éphémère de son activité et de son avenir d’« épouse trophée ». Yaya et Carl semblent ne pas vraiment s’aimer mais surtout tirer profit de l’image que leur couple renvoie.

    Le titre anglophone Triangle of sadness illustre parfaitement ce culte de l’image, et des apparences fallacieuses. Il est d’ailleurs peut-être plus parlant que le titre français, comme un écho au titre The Square, évoquant aussi une forme géométrique. L'expression the triangle of sadness fait référence à la partie du visage entre les yeux et les sourcils nommée ainsi par les chirurgiens esthétiques qui font en sorte qu’elle soit aussi lisse que possible pour que tout sentiment ou toute émotion soient imperceptibles. Dans ce monde « sans filtre », il n’y a d’ailleurs plus de place pour les sentiments.

    L’histoire est scindée en trois parties. Dans la première, un dîner au restaurant entre Yaya et Carl dégénère subitement en dispute au moment de régler l’addition. Carl reproche ainsi à Yaya son avarice et son conformisme de genre puisqu’elle considère que c’est toujours lui qui doit régler l’addition, et ne se pose même jamais la question.

    Nous retrouvons ensuite le couple sur le fameux yacht de croisière sur lequel ils vont côtoyer des personnages tout aussi haïssables et répugnants les uns que les autres comme un oligarque russe qui s’est enrichi en vendant de l’engrais (et qui ne cesse de clamer haut et fort et avec fierté à quel point c’est de la m…) ou encore un couple de retraités qui a fait fortune dans la vente de grenades et mines antipersonnel, avant que l’ONU et les lois sur les mines antipersonnel ne viennent ralentir leur activité (ce qu’ils évoquent en toute sérénité, comme s’ils évoquaient la hause du prix des fruits et légumes ou d’une autre marchandise anodine). Sans compter cette passagère qui ordonne à tout le personnel d’arrêter toute activité séance tenante pour « profiter du moment présent », se baigner via un toboggan qui les mène à la queuleuleu dans la mer parce que nous «sommes tous égaux», témoignant ainsi du contraire, et de son mépris de classe. Pour conduire ce joyeux petit monde à bon port, à la barre se trouve un capitaine alcoolique. Ou plutôt devrait se trouver puisqu’il passera une partie de la croisière dans la cabine avant de rejoindre le dîner de gala pour un repas « sans filtre » lors duquel tous ces personnages « à vomir » vont régurgiter au sens propre tout ce qu’ils ont avalé. Lorsque tout cela vire à La grande bouffe version 2022, le capitaine marxiste et le patron russe vont débattre de capitalisme et de socialisme (cet échange constitue un des atouts du film). Du burlesque on passe alors au grotesque et le rire vient désamorcer la gêne et le malaise délibérément occasionnés.

    La troisième partie, à la chute particulièrement prévisible, est interminable et peut-être inutile. Les rôles sont alors inversés. Les dominants deviennent les dominés. Les décideurs doivent obéir. Une des employés du bateau, Abigail (la seule à savoir pêcher ou cuisiner) prend la direction des opérations avec un plaisir ostensible tandis que les décideurs oppresseurs d’hier semblent ravis de se plier à ses ordres. Quand la dénonciation tourne ainsi à la misanthropie, le message semble être tronqué et la force de tout ce qui précède finalement annihilée.

    Le comble du cynisme était sans doute de projeter ce film à Cannes pendant que des yachts similaires à celui sur lequel se déroulait ce naufrage patientaient au large, comme un miroir de cette farce qui, dans la salle, a suscité l’hilarité parfois teintée de malaise...sans compter que Cannes avait cette année pour partenaire Tik Tok et que nombre de ses influenceurs étaient conviés sur la Croisette.

     Dans The Square, un homme singe provoquait de riches convives, les réduisant ainsi à une condition animale. C’est de nouveau le cas ici. Ruben Östlund  se paraphrase ainsi en changeant simplement de décor. Le film est tourné en plans fixes, tout mouvement de caméra aurait finalement été un pléonasme devant ce spectacle de désolation et de chaos, cette exhibition amorale, ce monde en plein naufrage. L’excès et le grotesque vont crescendo. Et cela aurait gagné à se terminer à la fin de la deuxième partie. La troisième partie représente le retour d’un cycle sans fin qui voit toujours les dominants et le consumérisme à outrance gagner. La réalisation est particulièrement élégante, presque « avec filtre», soulignant ainsi par la forme le propos et le contraste entre le paraître qui se veut si lisse et l'abjection de l'être.

    Tantôt réjouissante, tantôt dérangeante (à dessein) et finalement peut-être vaine, cette farce cruelle et satirique, sans la moindre illusion sur le monde, nous laisse une impression mitigée, se terminant par une pirouette facile destinée à nous montrer que la boucle est bouclée, que le cycle infernal ne prendra jamais fin. 

  • Festival de Cannes 2022 - Cannes Première - Critique de CHRONIQUE D'UNE LIAISON PASSAGERE d'Emmanuel Mouret

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    Chaque film d’Emmanuel Mouret donne envie de saisir chaque seconde, de désirer et d’enchanter la vie. Celui-ci ne déroge pas à la règle.

     « Au moment où l’on devient amoureux, à cet instant précis, il se produit en nous une musique particulière. Elle est pour chacun différente et peut survenir à des moments inattendus… » Tel était le pitch du film d’Emmanuel Mouret, L’art d’aimer. Tel pourrait être aussi le pitch de chacun des films d’Emmanuel Mouret, et notamment de celui-ci. Dès les premiers plans, l’eau scintillante sur laquelle se superposent les notes de la Javanaise de Gainsbourg, se dégage un charme captivant. Puis, nous arrivons dans un bar dans lequel un homme et une femme sont en pleine conversation. Nous entrons alors immédiatement dans le vif du sujet de cette liaison passagère.

    Il s’agit de celle de Charlotte, une mère célibataire (Sandrine Kiberlain) et Simon, un homme marié (Vincent Macaigne). Ils décident de devenir amants. Ils s’engagent à ne se voir que pour le plaisir et à n’éprouver aucun sentiment amoureux mais au fil des rendez-vous, au fil des mois, ils sont de plus en plus surpris par leur complicité. Le contrat  verbal qu’ils se sont fixés au début de leur relation leur en interdit cependant l’expression…

    Simon est aussi gauche et indécis (entre Antoine Doinel et Woody Allen) que Charlotte est audacieuse, déterminée et libérée.  Comme dans tous les films de Mouret, planent ainsi les ombres de Truffaut, Rohmer et Allen mais aussi cette gravité légère et fantaisiste qu’ils ont en commun.

    Kiberlain et Macaigne sont tellement parfaits dans leurs rôles qu’il est impossible d’imaginer quels autres acteurs auraient pu incarner aussi bien ce contraste, et apporter cette fantaisie à leurs personnages, ce ton si particulier, sur le fil, entre légèreté et gravité. D’infimes variations dans leur jeu nous font comprendre l’évolution des sentiments indicibles de leurs personnages. Charlotte dit détester le mot passion « parce qu’on l’affiche trop souvent comme une obligation » et ce qu’il incarne mais semble peu à peu y succomber. Georgia Scalliet, qui fut sociétaire de la Comédie-Française, est elle aussi d’une remarquable justesse, tout en émotions, dans le rôle de Louise qui vient perturber le fragile équilibre du couple. Sandrine Kiberlain, solaire et aventureuse, (irrésistible dans des comédies comme Les Deux Alfred récemment mais aussi bouleversante dans un film comme Mademoiselle Chambon en institutrice introverti) et Vincent Macaigne (époustouflant dans Médecin de nuit mais aussi dans le précédent film de Mouret) prouvent une nouvelle fois qu’ils sont aussi à l’aise dans le drame que dans la comédie.

    L’occasion pour moi de faire une digression (mais après tout, les films de Mouret en regorgent souvent !) pour vous recommander à nouveau Une jeune fille qui va bien, le premier long-métrage en tant que réalisatrice de Sandrine Kiberlain, actuellement sur Canal + cinéma. Un film aux résonances universelles comme l'est le Journal d’Anne Frank, qui doit tout autant être montré aux jeunes générations. Pour ne pas oublier. Que cela fut. Que cela pourrait advenir à nouveau. Que le présent et la liberté sont aussi précieux que fragiles. Cette ode à la vie les célèbre magnifiquement et nous laisse avec leur empreinte, pugnace et sublime. Un grand premier film qui nous rappelle qu’il ne faut jamais oublier, et que l’on n’oubliera pas. 

    Les dialogues qui excellaient dans Les chose qu’on dit, les choses qu’on fait et plus encore dans Mademoiselle de Joncquières sont ici à nouveau savoureux, grâce à l’écriture ciselé d’Emmanuel Mouret et Pierre Giraud. Dans Madamoiselle de Joncquières, adaptation d'un épisode de Jacques le Fataliste de Diderot, les dialogues sont délectables de la première à la dernière phrase, d'une beauté, d'une richesse, d'un lyrisme, d'une ironie, d'une profondeur jubilatoires, d'autant plus que les acteurs jonglent avec les mots et les émotions avec un talent rare, au premier rang desquels Cécile de France qui passe en une fraction de seconde d'une émotion à l'autre, sidérante de justesse en femme cruelle car et seulement car blessée au cœur. Les plans-séquence et les judicieuses ellipses (ou quand deux livres symbolisent magnifiquement une scène d'amour), la façon de passer de l'extérieur à l'intérieur, tout est le reflet des âmes sinueuses ou tourmentées. Edouard Baer manie aussi la langue du 18ème siècle avec brio et incarne avec une élégance tout en désinvolture ce libertin qui peu à peu découvre les affres de la passion après les avoir tant singées et s'en être si souvent lassé. Cette nouvelle digression pour dire que ce film n’était pas sans rappeler l’œuvre de Laclos, Les liaisons dangereuses et que le titre de ce nouveau film de Mouret nous y fait aussi songer mais également l'esprit du 18ème siècle que l’on retrouve dans les dialogues qui font aussi penser à ceux de Baisers volés de Truffaut qui en étaient  imprégnés. Nous retrouvons aussi ici ce mélange tendresse et drôlerie, légèreté et mélancolie présents également dans l’œuvre de Truffaut.

    L’inventivité de la mise en scène est une nouvelle fois remarquable. La caméra virevolte entre les acteurs, les accompagne dans leurs mouvements incessants, dans leur indécision, leur ambivalence, notamment par des plans-séquence magistraux ou les plongeant dans des décors plus grands qu’eux, ceux de la grande aventure de leur vie. Ils sont aussi souvent filmés dans de superbes contre-jours ou de dos. Ces choix de mise en scène incitent ainsi le spectateur à interpréter leurs émotions dans leurs gestes tout en retenue au contraire de ceux  des personnages de Scènes de la vie conjugale d’Ingmar Bergman que Charlotte et Simon vont voir au cinéma comme un malin contrepoint à leur relation.

    La (trompeuse) légèreté de cette fable fait un bien fou…et ne rend que plus émouvants la partie finale qui nous cueille savamment et subitement et ces plans de décors vides où ils vécurent des moments heureux auxquels la musique apporte une douce mélancolie.

    La musique joue d’ailleurs un rôle central. De la Javanaise par Juliette Gréco (qui là aussi fait penser à Baisers volés et au rôle primordial qu'y joue la chanson de Charles Trenet Que reste-t-il de nos amours) à Haendel en passant par Mozart et… Ravi Shankar. Après cette fantaisie enchantée, nous repartons de la salle de cinéma avec en tête la Javanaise et les sonates de Mozart et l’envie de danser la vie !